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au réveil, et posées sur ce jeune feuillage, d’un vert si virginal, comme des abeilles en course ou comme des gouttes de rosée, avaient de printanière innocence, d’élégante et pudique beauté ! — Mère des merveilles, mystérieuse et tendre Nature, pourquoi ne vivons-nous pas davantage en toi ? Les poétiques flâneurs de Töpffer, ses Charles ses Jules, amis et amants passionnés de tes grâces secrètes, ces observateurs ravis et éblouis, se présentaient à mon souvenir comme un reproche et une leçon. Le modeste jardin d’un presbytère, l’horizon étroit d’une mansarde contiennent, pour ceux qui savent regarder et attendre, plus d’enseignements qu’une bibliothèque, même que celle de « Mon oncle. » — Oui, nous sommes trop affairés, trop encombrés, trop occupés, trop actifs ! Nous lisons trop ! Il faut savoir jeter par-dessus bord tout son bagage de soucis, de préoccupations et de pédanterie, se refaire jeune, simple, enfant, vivre de l’heure présente, reconnaissant, naïf, heureux ! Oui, il faut savoir être oisif, ce qui n’est pas de la paresse. Dans l’inaction attentive et recueillie, notre âme efface ses plis, se détend, se déroule, renaît doucement comme l’herbe foulée du chemin, et, comme la feuille meurtrie de la plante, répare ses dommages, redevient neuve, spontanée, vraie, originale. La rêverie, comme la pluie des nuits, fait reverdir les idées fatiguées et pâlies par la chaleur du jour. Douce et fertilisante, elle éveille en nous mille germes endormis. En se jouant, elle accumule les matériaux pour l’avenir et les images pour le talent. La rêverie est le di-