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désintéressé, universellement aimant ; il est digne d’être aimé de Madeline, la femme idéale, à la fois superbe et dévouée, enthousiaste et calme, héroïque et tendre. Aram semble donc l’homme idéal et pourtant il meurt sur l’échafaud. Quelle est son unique faute ? il a voulu une fais juger à la place de Dieu, il a osé, de son chef, punir et récompenser, écraser une vermine publique, et donner à son propre génie le moyen d’accomplir sa mission parmi les hommes. C’est-à-dire que, pensant être plus sage que le Destin aveugle, il a méconnu la Providence. Cet orgueil est la cause de toutes ses catastrophes. L’orgueil a engendré le crime, et le crime a engendré la mort. Si Aram s’était incliné devant le mystère du crime heureux et de la vertu misérable, trois jours plus tard il recevait l’héritage qui le tirait de l’indigence, Housemann aurait tué Clarke et aurait été pendu ; le vice détruisait le vicieux, Aram aurait fourni en paix une grande carrière, Madeline et son père ne seraient pas morts de douleur, bref des torrents de félicité auraient remplacé les flots d’amertume qui ont jailli d’une seule erreur.

Y a-t-il un spectacle plus austère, plus éloquent, plus formidable ? Vigilance et soumission, énergie et foi en Dieu ! voilà ce que prêche cette funèbre histoire.

LXXV. — PAYSAGES ARISTOCRATIQUES.

Quelle différence, même entre les beaux jours ! c’est la différence entre de jeunes femmes, même