Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 162 —

fre les bizarreries imprévues de la liberté. Pourquoi ? — Parce que l’homme se fait plutôt lui-même par son activité, et que la femme est plutôt faite par sa destinée ; que l’un modifie et façonne les circonstances avec son énergie, et que l’autre les subit et les reflète dans sa douceur ; bref, parce que la femme est plutôt genre et l’homme individu.

LXXXVI. — DOUBLE RÔLE DES FEMMES.

Ainsi, chose curieuse, les femmes sont à la fois le sexe le plus semblable à lui-même et le plus différent ; le plus semblable au point de vue moral, le plus différent au point de vue social ; confrérie dans le premier cas, hiérarchie dans le second. Tous les degrés de culture, toutes les conditions se reconnaissent nettement dans leur extérieur, leurs manières et leurs goûts ; mais la fraternité intérieure se retrouve dans leurs sentiments, leurs instincts et leurs désirs. Le sexe féminin représente ainsi en même temps l’égalité naturelle et l’inégalité historique. Il maintient l’unité de l’espèce et sépare les catégories de la société ; il rapproche et divise, il agrège et disjoint ; il fait les castes et les brise, suivant qu’il incline à simplifier dans un sens ou dans l’autre son rôle double. — C’est que, au fond, la femme a essentiellement une mission conservatrice ; mais elle conserve sans discerner. D’un côté elle conserve l’œuvre de Dieu, ce qu’il a de permanent, d’élevé, de vraiment humain dans l’homme, la poésie, la religion, la vertu, la tendresse ; de l’autre, elle conserve l’œuvre des