Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voyait au loin la grande ville s’étoiler de feux.

Marcel offrit son bras à Fanny, et, tandis que les vieillards raisonnaient ensemble, ils se promenèrent tous deux sous les sombres allées. Il les trouvait charmantes ; elle lui en contait le nom et l’histoire.

— Nous sommes, disait-elle, dans l’allée de Jean-Jacques, qui conduit au salon d’Émile. Cette allée était droite, je l’ai recourbée pour qu’elle passât sous le vieux chêne. Il donne, tout le jour, de l’ombre à ce banc rustique que j’ai appelé « le Repos des amis ».

— Asseyons-nous un moment sur ce banc, dit Marcel.

Ils s’assirent. Marcel entendait dans le silence les battemens de son cœur.

— Fanny ! s’écria-t-il, en lui prenant la main.

Elle la retira doucement et, montrant au jeune homme les feuilles qu’une brise légère faisait frissonner :

— Entendez-vous ?

— J’entends le vent dans les feuilles.

Elle secoua la tête et dit d’une voix douce comme un chant :

— Marcel, Marcel ! Qui vous dit que c’est le vent dans les feuilles ? Qui vous dit que nous sommes seuls ? Êtes-vous donc aussi de ces âmes vulgaires qui n’ont rien deviné du monde mystérieux ?

Et, comme il l’interrogeait d’un regard plein d’anxiété.

— Monsieur Germain, lui dit-elle, veuillez monter dans ma chambre. Vous trouverez un petit livre sur ma table et vous me l’apporterez.

Il obéit. Tout le temps qu’il fut absent, la jeune veuve regarda le feuillage noir