Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/36

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été abattue. On va t’y saigner, gueuse !

Alors, un colosse velu, demi-nu, écarta les femmes, retroussa les manches de sa chemise et leva son sabre.

Fanny, se sentant pâlir, mordit ses joues froides, pour y ramener le sang. Elle comprit qu’instinctivement ils attendaient, pour la frapper qu’elle donnât un signe de peur et s’avouât la victime. Son air d’innocence auguste, son regard de vierge la protégeait encore. Elle promena lentement les yeux sur la foule et, remarquant l’horrible mère qui la menaçait, elle s’approcha d’elle et lui dit :

— Vous avez un bel enfant.

À ces seuls mots, les plus doux qu’elle eût jamais entendus, cette femme, cette mère se sentit remuée dans ses entrailles. Des larmes lui montèrent aux paupières :

— Prenez-le ! dit-elle

Et elle le tendit à Fanny, qui le prit dans ses bras et descendit, en lui souriant l’escalier du palais, tandis que la foule, étonnée, s’écartait devant elle.

Elle traversa ainsi la cour avec son innocent protecteur. Elle était sauvée. Quand elle eut passé la grille, elle remit l’enfant à sa mère sans prononcer une parole ; mais une de ses larmes avait roulé sur les langes.

Marcel la suivait de près ; il la fit entrer dans le fiacre qui les attendait au coin de la tour carrée. Le fiacre en tournant, se heurta à la charrette qui attendait Jean Duvernay pour le conduire à l’échafaud.

Anatole France.

(À suivre.)