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Page:Anatole France - Balthasar.djvu/125

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Pourquoi fallut-il que mon malheureux ami prit justement celui qui pouvait lui faire du mal et l’ouvrit à la page funeste ? Je conférai vingt minutes environ avec mon collègue, puis, l’ayant congédié, je rentrai dans le salon où j’avais laissé Le Mansel. Je trouvai le malheureux dans l’état le plus effrayant. Il frappait un livre ouvert devant lui, que je reconnus tout de suite pour être la traduction de l’Histoire Auguste. Et il récitait à haute voix cette phrase de Lampride : « Le jour de la naissance d’Alexandre Sévère, une poule appartenant au père du nouveau-né pondit un œuf rouge, présage de la pourpre impériale que l’enfant devait revêtir. »

Son exaltation allait jusqu’à la fureur. Il écumait. Il criait : « L’œuf, l’œuf de mon jour natal ! Je suis empereur. Je sais que tu veux me tuer. N’approche pas, misérable ! » Il faisait les cent pas. Puis, revenant vers moi, les bras ouverts : « Mon ami, me disait-il, mon vieux camarade, que veux-tu que je te donne ?… Empereur… Empereur… Mon père avait raison… L’œuf pourpre… Empereur, il faut l’être… Scélérat ! pourquoi me cachais-tu ce livre ? Je châtierai ce crime de haute trahison…