Page:Anatole France - Balthasar.djvu/241

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et que je ne saurais plus, à cette heure, distinguer la queue de l’une de la tête de l’autre. C’est la vérité, monseigneur.

Oui, c’était la vérité, et la tête de la nourrice pouvait se comparer à une vieille marmite fêlée. Georges et Francœur eurent toutes les peines du monde à en tirer quelque chose de bon. Toutefois ils en firent sortir, à force de la retourner, un récit qui commença de la sorte :

— Il y a sept ans, monseigneur, le jour même où vous fîtes avec Abeille l’escapade dont vous ne revîntes ni l’un ni l’autre, mon défunt mari alla dans la montagne vendre un cheval. C’est la vérité. Il donna à la bête un bon picotin d’avoine mouillée dans du cidre, afin qu’elle eût le jarret ferme et l’œil brillant ; il la mena au marché proche la montagne. Il n’eut pas à regretter son avoine et son cidre, car le cheval en fut vendu plus cher. Il en est des bêtes comme des hommes : on les estime sur l’apparence. Mon défunt mari se réjouissait de la bonne affaire qu’il venait de conclure, il offrit à boire à ses amis, s’engageant à leur faire raison le verre à la main. Or sachez, monseigneur, qu’il n’y avait pas un seul homme dans toutes les Clarides qui valût mon défunt mari