Page:Anatole France - Balthasar.djvu/75

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Le matin à mon réveil, je trouvai M. Safrac debout au chevet de mon lit.

— Ary, me dit-il, venez entendre la messe que je célébrerai à votre intention. À l’issue du saint sacrifice, je serai prêt à écouter ce que vous avez à me dire.

L’église d’Artigues est un petit sanctuaire de ce style roman qui fleurissait encore en Aquitaine au XIIe siècle. Restaurée il y a vingt ans, elle reçut un clocher qui n’était point prévu dans le plan primitif. Du moins, étant pauvre, elle garda sa pure nudité. Je m’associai, autant que mon esprit me le permettait, aux prières du célébrant, puis je rentrai avec lui au presbytère. Là, nous déjeunâmes d’un peu de pain et de lait, puis nous entrâmes dans la chambre de M. Safrac.

Ayant approché une chaise de la cheminée, au-dessus de laquelle un crucifix était suspendu, il m’invita à m’asseoir, et, s’étant assis lui-même près de moi, il me fit signe de parler. Au dehors, la neige tombait. Je commençai ainsi :

— Mon père, il y a dix ans qu’au sortir de vos mains je suis entré dans le monde. J’y ai gardé ma foi ; hélas ! non pas ma pureté. Mais je n’ai pas besoin de vous retracer mon existence ; vous