Page:Anatole France - Filles et garçons.djvu/27

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étaient tristes, parce que la tristesse du soir pénétrait leurs petites âmes. Ce qui les entourait leur était familier, mais ils ne reconnaissaient plus ce qu’ils connaissaient le mieux. Il semblait tout à coup que la terre fût trop grande et trop vieille pour eux. Ils étaient las et ils craignaient de ne jamais arriver dans la maison, où leur mère faisait la soupe pour toute la famille. Le petit Jean n’agitait plus son fouet. Catherine laissa glisser de sa main fatiguée sa dernière fleur. Elle tirait son petit frère par le bras et tous deux se taisaient.

Enfin, ils virent de loin le toit de leur maison qui fumait dans le ciel assombri.


Alors ils s’arrêtèrent, et, frappant ensemble des mains, poussèrent des cris de joie. Catherine embrassa son petit frère, puis ils se mirent ensemble à courir de toute la force de leurs pieds fatigués. Quand ils entrèrent dans le village, des femmes qui revenaient des champs leur donnèrent le bonsoir. Ils respirèrent. La mère était sur le seuil, en bonnet blanc, la cuillère à la main.

« Allons, les petits, allons donc ! » leur cria-t-elle. Et ils se jetèrent dans ses bras. En entrant dans la salle où fumait la soupe aux choux, Catherine frissonna de nouveau. Elle avait vu la nuit descendre sur la terre. Jean, assis sur la bancelle, le menton à la hauteur de la table, mangeait déjà sa soupe.