Page:Anatole France - Filles et garçons.djvu/55

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Il a représenté un monsieur qui, la canne à la main, se promène au bord de la mer. À cela près que le bras lui sort de la poitrine, ce monsieur est très bien fait. Il a quatre boutons à son habit ; c’est la perfection. Près de lui est un arbre. Au loin un bateau. Le monsieur a l’air de prendre le bateau dans sa main et de vouloir avaler l’arbre. C’est là un défaut de perspective. On en relève chez les plus grands maîtres.


Aujourd’hui Michel achève une composition plus vaste encore. On y voit des hommes, des bateaux et des moulins à vent. Il met la dernière main à ce grand ouvrage. Il lui semble que les bateaux glissent sur l’eau et que les ailes des moulins tournent. Il s’admire. Il se glorifie en son œuvre comme les vrais artistes, à l’exemple de Dieu.

Cependant il ne songe pas au petit chat qui joue à ses pieds avec un peloton de fil. Dès que Michel aura quitté la chambre, le petit chat sautera sur la table et renversera d’un coup de sa patte blanche l’encrier sur les papiers. Ainsi périra le chef-d’œuvre de Michel. L’auteur en sera triste d’abord. Mais bientôt il fera un nouveau chef-d’œuvre pour réparer l’injure du petit chat et de la destinée. C’est ainsi que le talent surmonte la mauvaise fortune.