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Maintenant, il n‘y a plus de plaque à la porte de l‘agent d’affaires, qui occupe, en ville, un appartement orné de glaces, au premier étage d‘une maison de la rue Pleuve-des-Petits-Champs, et qui a fait bâtir un chalet à Meudon. M. Fellaire est natif de Sissac, près Saint-Mamet-la-Salvétat, dans le département du Cantal, où son frère est encore aujourd’hui meunier.

Aussitôt qu’il apprit qu‘une partie de la Butte-des-Moulins devait tomber pour dégager les abords du Théâtre-Français, M. Fellaire de Sisac lança des cartes, des prospectus, des circulaires et fit des visites aux propriétaires et aux principaux commerçants des immeubles condamnés. Dans ce qu’il nommait « sa tournée », il alla voir à l’hôtel Meurice M. Haviland, qui possédait une grande maison située au pied de la Butte, près du théâtre. Cette maison appartenait à la famille Haviland depuis prés de deux siècles.

Le banquier John Haviland y établit ses bureaux en 1789. Il mit des fonds considérables à la disposition du duc d’Orléans, qu’il considérait comme le successeur désigné de Louis XVI, si, comme il le pensait, les Français s’en tenaient à la royauté constitutionnelle. Mais ni les événements dans leur marche violente, ni le duc naturellement indécis, ne se prêtèrent aux projets de l’audacieux banquier. Celui-ci se retourna du côté de la cour et favorisa la contre-révolutlon. Il se mit en communication avec la reine par l’intermédiaire de la belle Mme Elliot. Après la chute définitive de la royauté, dans la journée du 20 août, il s`enfuit en Angleterre et resta en rapport, avec le duc de Brunswick et les princes. Son caissier, David Ewart, âgé de quatre-vingt-un ans; voulut rester à Parts pour sauvegarder les intérêts menacés de la maison. N’ayant pu obtenir une carte de civisme et par cela même considéré comme suspect, il fut arrêté et conduit à la Conciergerie où il sembla oublié pendant plus de quatre mois. Enfin, traduit le 1er thermidor 1794 devant le tribunal révolutionnaire, et condamné comme conspirateur a la peine capitale, il fut guillotiné le même jour, sur la barrière du Trône, nommée alors barrière Renversée.

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(A suivre)