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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/185

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table de marbre gras et lissa ses cheveux par le geste qui accompagnait d’ordinaire ses méditations. Le gaz, qui chantait en brûlant, éclairait les cheveux laineux de cet homme, sa face de mulâtre dont la peau, à demi lavée par la neige et l’eau des hivers d’Europe, semblait sale, et jusqu’à ses mains ridées, dont les ongles plats étaient marqués à l’extrémité de virgules laiteuses.

Sans appeler le garçon, sans regarder du côté du comptoir, il tira de sa poche un journal qu’il lut de très haut. Il interrompit à peine sa lecture pour manger de cette tête de veau qui avait déjà paru par portions devant tous les convives silencieux et résignés. Ceux-ci s’évanouissaient l’un après l’autre dans l’ombre et dans la pluie. Un seul, édenté et morne, s’attardait encore sur des raisins secs. Et le mulâtre, ayant vidé son carafon, au fond duquel restait un résidu de lie et d’écorce, s’essuya la bouche, plia sa serviette, mit son journal dans sa poche, contre sa poitrine, avec le geste d’un lutteur qui étreint son adversaire, se leva, décrocha son chapeau et fit un pas vers la porte. Il s’élançait déjà dans la nuit humide quand un petit homme violacé et tout suintant de graisse débou-