Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/198

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— De quel droit créons-nous des êtres imaginaires ? Phidias ou Michel-Ange ou Machin fait une figure qui à l’apparence de la vie, qui s’impose aux yeux, qui pénètre les imaginations. C’est l’Athènè du Parthénon, le Moïse ou la Nymphe d’Asnières. On en parle, on en rêve. Et voilà un être de plus dans le monde ! Que vient-il y faire ?

Il vient perturber les intelligences, corrompre les cœurs, égarer les sens et se moquer du public. Toute œuvre d’art, toute création du génie humain est une dangereuse illusion et une tromperie coupable. Les sculpteurs, les peintres et les poètes sont des menteurs magnifiques et des coquins sublimes, rien de plus. Moi qui vous parle, j’ai été pendant six mois amoureux comme une bête de l’Antiope du Salon carré. C’est-à-dire que, pendant six mois, ce scélérat de Corrège s’était moqué de moi.

Connaissez-vous mon ami Branchut, le moraliste ? Il est laid, mais il l’ignore. Il est pauvre et plein de génie. Il sait le grec à faire l’étonnement des cafés et il a lu Hégel. Il vit d’un petit pain et boit aux bornes-fontaines. Ayant terminé son repas d’oiseau, il écrit des choses sublimes dans les jardins publics