Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/49

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prodigalités de vieux protecteur. Il la menait dans les petits théâtres et la faisait souper après le spectacle. Il croyait bien faire. Une cruelle déception pour elle fut de découvrir que ce père si bon, si facile, n’était pas le gentilhomme qu’elle voyait autrefois dans le parloir du couvent. Ses manières d’opérateur forain, ses politesses de table d’hôte la blessaient cruellement. Elle avait appris la bienséance chez les Dames du Calvaire ; elle avait le goût noble et le tact de ce qui est décent.

Sa beauté lui attirait des hommages d’une vivacité brutale qui l’indignaient. Personne ne songeait à la demander en mariage. Elle fut reprise de maux d’estomac. Tous les hommes qu’elle voyait chez son père lui semblaient ennuyeux. Ils se ressemblaient tous. Empressés, inquiets, sentant la fièvre et se rongeant les ongles, c’était des gens surchauffés, qui brûlaient leurs bottes, leurs chevaux, leur vie. Enfin il en vint un qui l’intéressa.

C’était un jeune chirurgien militaire, René Longuemare. Envoyé par son père, vieil agent-voyer des Ardennes, chez M. Fellaire de Sisac,