Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/57

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Il avait la manie de ranger et ne pouvait souffrir qu’un journal restât ouvert sur un canapé. Il exaspérait Hélène en lui remettant vingt fois par jour dans les mains le livre ou la broderie qu’elle avait laissé traîner. Elle se rappelait alors son père, qui oubliait ses cigares sur les bras des fauteuils de damas. Mais cela n’était rien. La grande souffrance d’Hélène était de vivre avec un homme totalement dépourvu d’imagination. Cette faculté était si étrangère à M. Haviland qu’il était incapable de peindre un sentiment ou de donner de l’intérêt à une pensée. Depuis qu’ils étaient mariés, il n’avait jamais ouvert la bouche que pour énoncer un fait précis, direct, immédiat. Sans doute il était amoureux et goûtait profondément la possession de sa femme ; mais son amour était comme une pluie fine, une de ces pluies qu’on n’entend pas, qu’on ne voit pas, qui ne veulent pas cesser, et qui pénètrent, et qui morfondent.

M. Haviland était servi par un domestique qui avait fait deux fois avec lui le tour du monde. Ils étaient inséparables. Ce domestique, nommé Groult, était un Français que M. Haviland avait connu assez jeune à Avranches. Groult n’était