Page:Anatole France - L’Église et la République.djvu/55

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armée comme son trésor sacré ; elle en a le culte, et sa colère serait terrible, ses représailles sanglantes contre les sacrilèges qui oseraient l’attaquer. Malgré l’intellectualisme qui fait profession de dédaigner la force, malgré les excès d’une liberté folle qui s’impatiente et se révolte contre la force, malgré les prétentions du civilisme, si j’ose employer ce mot barbare, qui veut se subordonner le militaire, malgré le cosmopolitisme qui méconnaît les lois de l’humanité que la Providence et la nature même des choses a voulu grouper en nations distinctes, malgré tous les sophismes, les aberrations d’esprits mal équilibrés, malgré les sacrifices que toute armée nationale impose, la France veut son armée, elle la veut forte, invincible, et met en elle ses plus chères, ses plus hautes espérances…

Avec une atroce fureur, ce langage exprime toute une doctrine ; il prononce la condamnation des libertés politiques et de la liberté de penser. C’est la proclamation du Syllabus dans un appel à la guerre civile. Le généralissime des armées françaises écouta en silence le moine exciter les soldats à la révolte et au massacre. Ainsi, cette fois encore, la robe blanche de Lacordaire fut une liberté, la liberté de la théocratie garantie par l’épée de la France. Henri Brisson dura peu. Il ne dut qu’à son énergie de durer assez pour faire son devoir, et introduire la revision du procès de 1894, devenue nécessaire après les aveux et le suicide du colonel Henry.

Il n’y pas de mots pour peindre le ministère Dupuy qui lui succéda. Ce fut le chaos, l’écroulement et l’abîme. La République allait où l’emportait l’Affaire, que soulevaient en hurlant les nationalistes,