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le manuscrit d’un médecin de village

point d’intérêt, je ne les rapporterai pas ici. Après la consultation, le docteur C***, médecin de la préfecture, me fit l’honneur de me retenir à déjeuner chez lui, avec deux de mes confrères. Après le déjeuner, où je fus réjoui par une conversation solide et variée, nous prîmes le café dans le cabinet du docteur. Comme je m’approchais de la cheminée pour y poser ma tasse vide, j’aperçus, suspendu au cadre de la glace, un portrait dont la vue me causa une si vive émotion, que j’eus peine à retenir un cri. C’était une miniature, un portrait d’enfant. Cet enfant ressemblait d’une manière si frappante à celui que je n’avais pu sauver et auquel je pensais tous les jours, depuis un an, que je ne pus m’empêcher de croire, un moment, que c’était lui-même. Pourtant cette supposition était absurde. Le cadre de bois noir et le cercle d’or qui entouraient la miniature attestaient le goût de la fin du xviiie siècle, et l’enfant était représenté avec une veste rayée de rose et de blanc comme un petit Louis XVII ; mais le visage était tout à fait le visage du petit Éloi. Même front, volontaire et puissant, un front d’homme sous des