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mémoires d’un volontaire

Madame Berthemet me répondit en souriant que j’étais un bien honnête homme. Puis prenant un ton plus grave :

— Je vais donc vous faire une confidence nécessaire à votre repos. Ne vous abusez pas ; renoncez à tout espoir. Ma fille est aimée du chevalier de Saint-Ange et je ne la crois pas insensible à cet hommage. Je souhaiterais pourtant qu’elle en perdît le souvenir. Car notre fortune décline chaque jour, et l’amour du chevalier est mis par là à une épreuve dont les sentiments les plus ardents ne sont pas toujours victorieux.

Le chevalier de Saint-Ange ! À ce nom je frémis ; j’avais pour rival le poète le plus tendre, le conteur le plus aimable ! Naissance, famille, beauté, talents, il avait tout pour plaire ! La veille, j’avais vu dans les mains d’une dame, sur une boîte d’écaille, le portrait peint à la miniature du chevalier de Saint-Ange, en costume de dragon.

En le voyant, j’avais envié, comme tous les hommes, sa mâle élégance et sa grâce souveraine. Tous les matins, j’entendais ma voisine, la mercière, chanter, sur le seuil de