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l’étui de nacre

Commune et il récitait tous les jours devant la municipalité, aux grands applaudissements des tricoteuses et des sans-culottes, un hymne nouveau. Il était le plus patriote des poètes et le citoyen Dorat-Cubières lui-même semblait auprès de lui un timide feuillant suspect aux démagogues. J’étais d’un commerce dangereux ; aussi M. Mille ne venait pas me visiter, et la délicatesse me faisait un facile devoir de ne point le rechercher. Pourtant, comme il était honnête homme, il m’envoya le recueil imprimé de ses chansons. Oh ! que sa seconde muse ressemblait peu à la première ! Celle-ci était poudrée, fardée, musquée. L’autre avait l’air d’une furie à chevelure de serpents. Je me rappelle encore la chanson des sans-culottes qui voulait être bien méchante. Elle commençait ainsi :

Amis, assez et trop longtemps,
Sous le règne affreux des tyrans,
On chanta les despotes :
Sous celui de l’Égalité,
Des Lois et de la Liberté,
Chantons les Sans-culottes.

Le procès du roi me jeta dans un trouble indicible. Mes jours s’écoulaient dans l’horreur.