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mémoires d’un volontaire

À la première étape, je présentai ma feuille de route à des paysans qui m’envoyèrent coucher à l’étable, dans la paille. J’y dormis d’un sommeil délicieux. Et je songeai, en me réveillant :

« Voilà qui est bien. Je ne risque plus d’être guillotiné. Il me semble que je n’aime plus Amélie ; ou plutôt, il me semble que je ne l’ai jamais aimée. Je vais avoir un sabre et un fusil. Je n’aurai plus à craindre que les balles des Autrichiens. Brindamour et Trompelamort ont raison : il n’est pas de plus beau métier que celui de soldat. Mais qui l’eût dit, quand j’étudiais le latin sous les pommiers en fleur de M. l’abbé Lamadou, qu’un jour je défendrais la République ? Ah ! monsieur Féval, qui l’eût dit que le petit Pierre votre élève s’en irait en guerre ? »

À l’étape suivante, une bonne femme me coucha dans des draps blancs, parce que je ressemblais à son fils.

Je logeai le lendemain chez une chanoinesse qui me mit dans un grenier, à la pluie et au vent ; encore le fit-elle d’une âme bien angoissée, tant un défenseur de la Répu-