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mémoires d’un volontaire

mangions pas. Floridor, mon sergent, ancien garde française, jurait que nous menions « une vie de fête » ; il exagérait, mais nous n’étions pas malheureux, car nous avions la conscience de faire notre devoir et d’être utiles à la patrie.

Nous étions justement fiers de notre régiment qui s’était couvert de gloire à Wattignies. Il était composé en grande partie de soldats de l’ancien régime, solides et bien instruits. Comme il avait perdu beaucoup de monde dans plusieurs affaires, on avait bouché les trous, tant bien que mal, avec de jeunes réquisitionnaires. Sans les vétérans qui nous encadraient, nous n’eussions rien valu. Il faut beaucoup de temps pour former un soldat, et l’enthousiasme, à la guerre, ne remplace pas l’expérience.

Mon colonel était un ci-devant noble de chez moi. Il me traita avec bonté. Vieux royaliste de province, soldat et non courtisan, il avait fort tardé à changer l’habit blanc des troupes de Sa Majesté contre l’habit bleu des soldats de l’an II. Il détestait la République et donnait tous les jours sa vie pour elle.