Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
l’étui de nacre

— Pardonnez-moi, madame, d’avoir troublé vos songes. Je vous contemplais. Seule, immobile, accoudée, vous m’avez semblé l’ange du rêve.

— Seule ! seule ! répondit-elle, comme si elle n’avait entendu que ce mot : seule ! L’est-elle jamais ?

Et, comme elle vit qu’il la regardait sans comprendre, elle ajouta :

— Laissons cela ; ce sont des idées que j’ai… Quelles nouvelles ?

Alors, il lui conta la grande journée, la Bastille vaincue, la liberté fondée.

Sophie l’écouta gravement, puis :

— Il faut se réjouir, dit-elle ; mais notre joie doit être la joie austère du sacrifice. Désormais les Français ne s’appartiennent plus ; ils se doivent à la révolution qui va changer le monde.

Comme elle parlait ainsi, l’enfant se jeta joyeusement sur ses genoux.

— Regarde, maman ; regarde le beau jardin.

Elle lui dit en l’embrassant :

— Tu as raison, mon Émile ; rien n’est plus sage au monde que de faire un beau jardin.