Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/127

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vous ne les consulterez pas à l’endroit de la pieuse Orberose. Quand elles vous auront donné leur opinion, vous n’en serez pas plus avancé qu’auparavant. La virginité est non moins difficile à prouver qu’à garder. Pline nous enseigne, en son histoire, que les signes en sont imaginaires ou très incertains[1]. Telle qui porte sur elle les quatorze marques de la corruption est pure aux yeux des anges et telle au contraire qui, visitée par les matrones au doigt et à l’œil, feuillet par feuillet, sera reconnue intacte, se sait redevable de ces bonnes apparences aux artifices d’une perversité savante. Quant à la pureté de la sainte fille que voici, j’en mettrais ma main au feu.

Il parlait ainsi parce qu’il était le Diable. Mais le vieillard Maël ne le savait pas. Il demanda à la pieuse Orberose :

— Ma fille, comment vous y prendrez-vous pour vaincre un animal aussi féroce que celui qui vous a dévorée ?

La vierge répondit :

— Demain, au lever du soleil, ô Maël, tu convoqueras le peuple sur la colline, devant la lande désolée qui s’étend jusqu’au rivage des Ombres et tu veilleras à ce qu’aucun homme pingouin ne se tienne à moins de cinq cents pas des rochers, car il serait aussitôt empoisonné par l’haleine du

  1. Nous avons cherché vainement cette phrase dans l’Histoire naturelle de Pline. (Édit.)