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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/191

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Rouquin ; ils sont devenus philosophes, et quand on est philosophe, c’est pour la vie.

— Je te dis, Rouquin, qu’ils regretteront tôt ou tard ce qu’ils font aujourd’hui. Ils maltraitent les saints qui ne les ont pas suffisamment assistés ; mais les cailles ne leur tomberont pas pour cela toutes rôties dans le bec ; ils se trouveront aussi gueux que devant et quand ils auront beaucoup tiré la langue, ils redeviendront dévots. Un jour arrivera, et plus tôt qu’on ne croit, où la Pingouinie recommencera d’honorer sa benoîte patronne. Rouquin, il serait sage de garder pour ce jour-là, en notre logis, au fond d’un vieux pot, une poignée de cendre, quelques os et des chiffons. Nous dirons que ce sont les reliques de sainte Orberose, que nous avons sauvées des flammes, au péril de notre vie. Je me trompe bien, si nous n’en recueillerons pas honneur et profit. Cette bonne action pourra nous valoir, dans notre vieillesse, d’être chargés par monsieur le curé de vendre les cierges et de louer les chaises dans la chapelle de sainte Orberose.

Ce jour même, la Rouquine prit à son foyer un peu de cendres et quelques os rongés et les mit dans un vieux pot de confitures, sur l’armoire.