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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/207

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naissance, mais déchus de leurs biens comme de leurs privilèges. Et, dès qu’ils en avaient l’âge, il les mariait avec les jeunes filles de la caste opulente et méprisée des financiers.

Grand, maigre, noir, Agaric se promenait sans cesse, son bréviaire à la main, dans les corridors de l’école et les allées du potager, pensif et le front chargé de soucis. Il ne bornait pas ses soins à inculquer à ses élèves des doctrines absconses et des préceptes mécaniques, et à leur donner ensuite des femmes légitimes et riches. Il formait des desseins politiques et poursuivait la réalisation d’un plan gigantesque. La pensée de sa pensée, l’œuvre de son œuvre était de renverser la république. Il n’y était pas mû par un intérêt personnel. Il jugeait l’état démocratique contraire à la société sainte à laquelle il appartenait corps et âme. Et tous les moines ses frères en jugeaient de même. La république était en luttes perpétuelles avec la congrégation des moines et l’assemblée des fidèles. Sans doute, c’était une entreprise difficile et périlleuse, que de conspirer la mort du nouveau régime. Du moins Agaric était-il à même de former une conjuration redoutable. À cette époque, où les religieux dirigeaient les castes supérieures des Pingouins, ce moine exerçait sur l’aristocratie d’Alca une influence profonde.

La jeunesse, qu’il avait formée, n’attendait que le moment de marcher contre le pouvoir popu-