Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/225

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qu’elle nous ignore. Mais quand elle saura ce que nous voulons, elle ne nous suivra pas. Si nous laissons voir que nous voulons détruire le régime démocratique et relever la crête du Dragon, quels seront nos partisans ? Les garçons bouchers et les petits boutiquiers d’Alca. Et même ces boutiquiers, pourrons-nous bien compter sur eux jusqu’au bout ? Ils sont mécontents, mais ils sont chosards dans le fond de leurs cœurs. Ils ont plus d’envie de vendre leurs méchantes marchandises que de revoir Crucho. En agissant à découvert nous effrayerons.

» Pour qu’on nous trouve sympathiques et qu’on nous suive, il faut que l’on croie que nous voulons, non pas renverser la république, mais au contraire la restaurer, la nettoyer, la purifier, l’embellir, l’orner, la parer, la décorer, la parfumer, la rendre enfin magnifique et charmante. Aussi ne devons-nous pas agir par nous-mêmes. On sait que nous ne sommes pas favorables à l’ordre actuel. Il faut nous adresser à un ami de la république, et, pour bien faire, à un défenseur de ce régime. Nous n’aurons que l’embarras du choix. Il conviendra de préférer le plus populaire et, si j’ose dire, le plus républicain. Nous le gagnerons par des flatteries, par des présents et surtout par des promesses. Les promesses coûtent moins que les présents et valent beaucoup plus. Jamais on ne donne autant que lorsqu’on donne