Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/227

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sur la place et s’étant aperçu que le chanteur était un ouvrier qui remettait des ardoises sur le faîte de l’église, il le pria poliment de chanter autre chose.

— Je chante ce qui me plaît, répondit l’homme.

— Mon ami, pour me faire plaisir…

— Je n’ai pas envie de vous faire plaisir.

Le prince des Boscénos était placide à son ordinaire, mais irascible et d’une force peu commune.

— Coquin, descends ou je monte, s’écria-t-il d’une voix formidable.

Et, comme le couvreur, à cheval sur la crête, ne faisait pas mine de bouger, le prince grimpa vivement par l’escalier de la tour jusqu’au toit et se jeta sur le chanteur qui, assommé d’un coup de poing, roula démantibulé dans une gouttière. À ce moment sept ou huit charpentiers qui travaillaient dans les combles, émus par les cris du compagnon, mirent le nez aux lucarnes et, voyant le prince sur le faîte, s’en furent à lui par une échelle qui se trouvait couchée sur l’ardoise, l’atteignirent au moment où il se coulait dans la tour et lui firent descendre, la tête la première, les cent trente-sept marches du limaçon.