Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/241

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Les dracophiles maintenus dans l’allée marquaient le pas en chantant : « C’est Chatillon qu’il nous faut ». Bientôt, impatients de ces lenteurs, dont ils ne connaissaient pas la cause, ils commencèrent à pousser ceux qui se trouvaient devant eux. Ce mouvement, propagé le long de l’allée, jetait les premiers sortis contre les larges poitrines des gardes de police. Ceux-ci n’avaient point de haine contre les dracophiles ; dans le fond de leur cœur ils aimaient Chatillon ; mais il est naturel de résister à l’agression et d’opposer la violence à la violence ; les hommes forts sont portés à se servir de leur force. C’est pourquoi les gardes de police recevaient les dracophiles à grands coups de bottes ferrées. Il en résultait des refoulements brusques. Les menaces et les cris se mêlaient aux chants.

— Assassins ! Assassins !… « C’est Chatillon qu’il nous faut ! » Assassins ! Assassins !

Et, dans la sombre allée : « Ne poussez pas, » disaient les plus sages. Parmi ceux-là, dominant de sa haute taille la foule agitée, déployant parmi les membres foulés et les côtes défoncées, ses larges épaules et ses poumons robustes, doux, inébranlable, placide, se dressait dans les ténèbres le prince des Boscénos. Il attendait, indulgent et serein. Cependant, la sortie s’opérant par intervalles réguliers entre les rangs des gardes de police, les coudes, autour du prince, commen-