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l’intention de traduire Chatillon devant la Haute-Cour. Mais ils ne savaient rien ; ils demeuraient dans cette totale ignorance réservée à ceux qui gouvernent les hommes. Ils se trouvaient incapables de relever contre Chatillon des charges de quelque poids. Ils ne fournissaient à l’accusation que les mensonges ridicules de leurs espions. La participation de Chatillon au complot, ses relations avec le prince Crucho, restaient le secret de trente mille dracophiles. Les ministres et les députés avaient des soupçons, et même des certitudes ; ils n’avaient pas de preuves. Le procureur de la république disait au ministre de la justice : « Il me faut bien peu pour intenter des poursuites politiques, mais je n’ai rien du tout ; ce n’est pas assez. » L’affaire ne marchait pas. Les ennemis de la chose en triomphaient.

Le 18 septembre, au matin, la nouvelle courut dans Alca que Chatillon avait pris la fuite. L’émoi, la surprise étaient partout. On doutait, on ne pouvait comprendre.

Voici ce qui s’était passé :

Un jour qu’il se trouvait, comme par hasard, dans le cabinet de M. Barbotan, ministre des affaires internes, le brave subémiral Volcanmoule dit avec sa franchise coutumière :

— Monsieur Barbotan, vos collègues ne me paraissent pas bien dégourdis ; on voit qu’ils n’ont pas commandé en mer. Cet imbécile de