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vieux camarade Greatauk, chef de cette armée déchue, la livrait bassement aux rancunes d’un gouvernement antipatriote. Et il se promit d’y mettre bon ordre, avant peu.

— Ce coquin de Greatauk, se disait-il, ne restera pas longtemps ministre.

Le prince des Boscénos était le plus irréconciliable adversaire de la démocratie moderne, de la libre pensée et du régime que les Pingouins s’étaient librement donné. Il nourrissait contre les juifs une haine vigoureuse et loyale et travaillait en public, en secret, nuit et jour, à la restauration du sang des Draconides. Son royalisme ardent s’exaltait encore par la considération de ses affaires privées, dont le mauvais état empirait d’heure en heure ; car il ne pensait voir la fin de ses embarras pécuniaires qu’à l’entrée de l’héritier de Draco le Grand dans sa ville d’Alca.

De retour en son hôtel, le prince tira de son coffre-fort une liasse de vieilles lettres, correspondance privée, très secrète, qu’il tenait d’un commis infidèle, et de laquelle il résultait que son vieux camarade Greatauk, duc du Skull, avait tripoté dans les fournitures et reçu d’un industriel, nommé Maloury, un pot-de-vin, qui n’était pas énorme et dont la modicité même ôtait toute excuse au ministre qui l’avait accepté.

Le prince relut ces lettres avec une âpre volupté, les remit soigneusement dans le coffre-