Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les moins contestables, les moins examinées, les plus vénérées, les plus respectées et celles qu’on ne peut transgresser sans encourir les blâmes les plus sévères. Toute la morale relative aux relations des sexes est fondée sur ce principe que la femme une fois acquise appartient à l’homme, qu’elle est son bien comme son cheval et ses armes. Et cela ayant cessé d’être vrai, il en résulte des absurdités, telles que le mariage ou contrat de vente d’une femme à un homme, avec clauses restrictives du droit de propriété, introduites par suite de l’affaiblissement graduel du possesseur.

» L’obligation imposée à une fille d’apporter sa virginité à son époux vient des temps où les filles étaient épousées dès qu’elles étaient nubiles ; il est ridicule qu’une fille qui se marie à vingt-cinq ou trente ans soit soumise à cette obligation. Vous direz que c’est un présent dont son mari, si elle en rencontre enfin un, sera flatté ; mais nous voyons à chaque instant des hommes rechercher des femmes mariées et se montrer bien contents de les prendre comme ils les trouvent.

» Encore aujourd’hui le devoir des filles est déterminé, dans la morale religieuse, par cette vieille croyance que Dieu, le plus puissant des chefs de guerre, est polygame, qu’il se réserve tous les pucelages, et qu’on ne peut en prendre que ce qu’il en a laissé. Cette croyance, dont les traces subsistent dans plusieurs métaphores du langage