Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/354

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rable, dit-il ; partout s’élèvent des avenues majestueuses. Vit-on jamais rien de si beau que nos ponts à pylônes et nos hôtels à coupoles ?

— Vous oubliez ce grand palais recouvert d’une immense cloche à melon, grommela avec une rage sourde M. Daniset, vieil amateur d’art. J’admire à quel degré de laideur peut atteindre une ville moderne. Alca s’américanise ; partout on détruit ce qui restait de libre, d’imprévu, de mesuré, de modéré, d’humain, de traditionnel ; partout on détruit cette chose charmante, un vieux mur au-dessus duquel passent des branches ; partout on supprime un peu d’air et de jour, un peu de nature, un peu de souvenirs qui restaient encore, un peu de nos pères, un peu de nous-même, et l’on élève des maisons, épouvantables, énormes, infâmes, coiffées à la viennoise de coupoles ridicules ou conditionnées à l’art nouveau, sans moulures ni profils, avec des encorbellements sinistres et des faîtes burlesques, et ces monstres divers grimpent au-dessus des toits environnants, sans vergogne. On voit traîner sur des façades avec une mollesse dégoûtante des protubérances bulbeuses ; ils appellent cela les motifs de l’art nouveau. Je l’ai vu, l’art nouveau, dans d’autres pays, il n’est pas si vilain ; il a de la bonhomie et de la fantaisie. C’est chez nous que, par un triste pri-