Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/389

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de guerres du tout ; il aimait que le gouvernement montrât de la fierté et même de l’arrogance ; mais au moindre soupçon qu’un conflit européen se préparait, sa violente émotion aurait vite gagné la Chambre. Paul Visire n’était point inquiet, la situation européenne, à son avis, n’offrait rien que de rassurant. Il était seulement agacé du silence maniaque de son ministre des affaires étrangères. Ce gnome arrivait au conseil avec un portefeuille plus gros que lui, bourré de dossiers, ne disait rien, refusait de répondre à toutes les questions, même à celles que lui posait le respecté président de la république et, fatigué d’un travail opiniâtre, prenait, dans son fauteuil, quelques instants de sommeil et l’on ne voyait plus que sa petite houppe noire au-dessus du tapis vert.

Cependant Hippolyte Cérès redevenait un homme fort ; il faisait en compagnie de son collègue Lapersonne des noces fréquentes avec des filles de théâtre ; on les voyait tous deux entrer, de nuit, dans des cabarets à la mode, au milieu de femmes encapuchonnées, qu’ils dominaient de leur haute taille et de leurs chapeaux neufs, et on les compta bientôt parmi les figures les plus sympathiques du boulevard. Ils s’amusaient ; mais ils souffraient. Fortuné Lapersonne avait aussi sa blessure sous sa cuirasse ; sa femme, une jeune modiste qu’il avait enlevée à un marquis, était allée vivre avec un chauffeur. Il