Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/401

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commença à murmurer contre le président du conseil et à crier au scandale. Ce n’était pas encore un danger, mais ce pouvait en devenir un.

Pour le moment, le péril n’était nulle part et il était partout. La majorité restait ferme, mais les leaders devenaient exigeants et moroses. Peut-être Hippolyte Cérès n’eût-il jamais sacrifié ses intérêts à sa vengeance. Mais, jugeant qu’il pouvait désormais, sans compromettre sa propre fortune, contrarier secrètement celle de Paul Visire, il s’étudiait à créer, avec art et mesure, des difficultés et des périls au chef du gouvernement. Très loin d’égaler son rival par le talent, le savoir et l’autorité, il le surpassait de beaucoup en habileté dans les manœuvres de couloirs. Les plus fins parlementaires attribuaient à son abstention les récentes défaillances de la majorité. Dans les commissions, faussement imprudent, il accueillait sans défaveur des demandes de crédits auxquelles il savait que le président du conseil ne saurait souscrire. Un jour, sa maladresse calculée souleva un brusque et violent conflit entre le ministre de l’intérieur et le rapporteur du budget de ce département. Alors Cérès s’arrêta effrayé. C’eût été dangereux pour lui de renverser trop tôt le ministère. Sa haine ingénieuse trouva une issue par des voies détournées. Paul Visire avait une cousine pauvre et galante qui portait son nom. Cérès, se rappelant à propos cette demoiselle