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malgré leur courage fanatique, furent complètement défaits. Échauffé par les journaux aux gages des financiers, l’enthousiasme populaire éclata. Quelques socialistes seuls protestèrent contre une entreprise barbare, équivoque et dangereuse ; ils furent immédiatement arrêtés.

À cette heure où le ministère, soutenu par la richesse et cher maintenant aux simples, semblait inébranlable, Hippolyte Cérès, éclairé par la haine, voyait seul le danger, et, contemplant son rival avec une joie sombre, murmurait entre ses dents : « Il est foutu, le forban ! »

Tandis que le pays s’enivrait de gloire et d’affaires, l’empire voisin protestait contre l’occupation de la Nigritie par une puissance européenne et ces protestations, se succédant à des intervalles de plus en plus courts, devenaient de plus en plus vives. Les journaux de la république affairée dissimulaient toutes les causes d’inquiétude ; mais Hippolyte Cérès écoutait grossir la menace et, résolu enfin à tout risquer pour perdre son ennemi, même le sort du ministère, travaillait dans l’ombre. Il fit écrire par des hommes à sa dévotion et insérer dans plusieurs journaux officieux des articles qui, semblant exprimer la pensée même de Paul Visire, prêtaient au chef du gouvernement des intentions belliqueuses.

En même temps qu’ils éveillaient un écho terrible à l’étranger, ces articles alarmaient l’opi-