Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/410

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Pingouinie gémit dans la désolation ; nos curés de campagne, réduits pour vivre à exercer les plus vils métiers, traînent la savate et mangent des rogatons. Dans nos églises en ruines la pluie du ciel tombe sur les fidèles et l’on entend durant les saints offices les pierres des voûtes choir. Le clocher de la cathédrale penche et va s’écrouler. Sainte Orberose est oubliée des Pingouins, son culte aboli, son sanctuaire déserté. Sur sa châsse, dépouillée de son or et de ses pierreries, l’araignée tisse silencieusement sa toile.

Oyant ces lamentations, Pierre Mille qui, à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, n’avait rien perdu de sa puissance intellectuelle et morale, demanda au chanoine s’il ne pensait pas que sainte Orberose sortît un jour de cet injurieux oubli.

— Je n’ose l’espérer, soupira M. Monnoyer.

— C’est dommage ! répliqua Pierre Mille. Orberose est une charmante figure ; sa légende a de la grâce. J’ai découvert, l’autre jour, par grand hasard, un de ses plus jolis miracles, le miracle de Jean Violle. Vous plairait-il l’entendre, monsieur Monnoyer ?

— Je l’entendrai volontiers, monsieur Mille.

— Le voici donc tel que je l’ai trouvé dans un manuscrit du XIVe siècle :

» Cécile, femme de Nicolas Gaubert, orfèvre sur le Pont-au-Change, après avoir mené durant