Aller au contenu

Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/423

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pauvres est ce qu’elle peut être, disaient les hygiénistes ; mais celle des riches laisse à désirer. » Il n’était pas difficile d’en trouver les causes. L’oxygène nécessaire à la vie manquait dans la cité ; on respirait un air artificiel ; les trusts de l’alimentation, accomplissant les plus hardies synthèses chimiques, produisaient des vins, de la chair, du lait, des fruits, des légumes factices. Le régime qu’ils imposaient causait des troubles dans les estomacs et dans les cerveaux. Les milliardaires étaient chauves à dix-huit ans ; quelques-uns trahissaient par moment une dangereuse faiblesse d’esprit ; malades, inquiets, ils donnaient des sommes énormes à des sorciers ignares et l’on voyait éclater tout à coup dans la ville la fortune médicale ou théologique de quelque ignoble garçon de bain devenu thérapeute ou prophète. Le nombre des aliénés augmentait sans cesse ; les suicides se multipliaient dans le monde de la richesse et beaucoup s’accompagnaient de circonstances atroces et bizarres, qui témoignaient d’une perversion inouïe de l’intelligence et de la sensibilité.

Un autre symptôme funeste frappait fortement le commun des esprits. La catastrophe, désormais périodique, régulière, rentrait dans les prévisions et prenait dans les statistiques une place de plus en plus large. Chaque jour des machines éclataient, des maisons sautaient, des trains bondés