Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/67

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— Je vous louerai, Seigneur, de ce que vous fîtes naître Saphira, ma mère, parmi votre peuple, aux jours où la rosée du ciel rafraîchissait la terre en travail de son Sauveur. Et je vous louerai, Seigneur, de m’avoir donné de voir de mes yeux mortels les apôtres de votre divin fils. Et je parlerai dans cette illustre assemblée parce que vous avez voulu que la vérité sortît de la bouche des humbles, et je dirai : Changez ces pingouins en hommes. C’est la seule détermination convenable à votre justice et à votre miséricorde.

Plusieurs docteurs demandaient la parole ; d’autres la prenaient. Personne n’écoutait et tous les confesseurs agitaient tumultueusement leurs palmes et leurs couronnes.

Le Seigneur, d’un geste de sa droite, apaisa les querelles de ses élus :

— N’en délibérons plus, dit-il. L’avis ouvert par le doux vieillard Hermas est le seul conforme à mes desseins éternels. Ces oiseaux seront changés en hommes. Je prévois à cela plusieurs inconvénients. Beaucoup entre ces hommes se donneront des torts qu’ils n’auraient pas eus comme pingouins. Certes, leur sort, par l’effet de ce changement, sera bien moins enviable qu’il n’eût été sans ce baptême et cette incorporation à la famille d’Abraham. Mais il convient que ma prescience n’entreprenne pas sur leur libre arbitre. Afin de ne point porter atteinte à la liberté