Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dites-moi encore, mon bon maître, ne vous a-t-elle pas parlé de moi, n’a-t-elle pas prononcé mon nom dans un soupir, ou autrement ?

— Non, mon fils, répondit M. l’abbé Coignard, elle ne l’a pas prononcé, du moins d’une façon perceptible. Je n’ai pas ouï non plus qu’elle ait murmuré celui de M. d’Astarac, son amant, qu’elle devait avoir plus présent que le vôtre. Mais ne soyez pas surpris qu’elle oublie son alchimiste. Il ne suffit pas de posséder une femme pour imprimer dans son âme une marque profonde et durable. Les âmes sont presque impénétrables les unes aux autres, et c’est ce qui vous montre le néant cruel de l’amour. Le sage doit se dire : Je ne suis rien dans ce rien qui est la créature. Espérer qu’on laissera un souvenir au cœur d’une femme, c’est vouloir fixer l’empreinte d’un anneau sur la face d’une eau courante. Aussi gardons-nous de vouloir nous établir dans ce qui passe, et attachons-nous à ce qui ne meurt pas.

— Enfin, répondis-je, cette Jahel est sous de bons verrous, et l’on peut se fier à la vigilance de son gardien.

— Mon fils, reprit mon bon maître, c’est ce soir qu’elle doit nous rejoindre au Cheval-Rouge. L’ombre est propice aux évasions, rapts, dé-