Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/99

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Il me répondit sans relever la tête :

— Mon fils, j’ai connu trop de sortes de personnes et traversé des fortunes trop diverses pour m’étonner de rien. Ce gentilhomme paraît fou, moins parce qu’il l’est réellement que parce que ses pensées diffèrent à l’excès de celles du vulgaire. Mais, si l’on prêtait attention aux discours qui se tiennent communément dans le monde, on y trouverait moins de sens encore que dans ceux que tient ce philosophe. Livrée à elle-même, la raison humaine la plus sublime fait ses palais et ses temples avec des nuages, et vraiment M. d’Astarac est un assez bel assembleur de nuées. Il n’y a de vérité qu’en Dieu ; ne l’oubliez pas, mon fils. Mais ceci est véritablement le livre Imouth, que Zozime le Panopolitain écrivit pour sa sœur Théosébie. Quelle gloire et quelles délices de lire ce manuscrit unique, retrouvé par une sorte de prodige ! J’y veux consacrer mes jours et mes veilles. Je plains, mon fils, les hommes ignorants que l’oisiveté jette dans la débauche. Ils mènent une vie misérable. Qu’est-ce qu’une femme auprès d’un papyrus alexandrin ? Comparez, s’il vous plaît, cette bibliothèque très noble au cabaret du Petit Bacchus et l’entretien de ce précieux manuscrit aux caresses