Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/110

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décliner. Un certain samedi de décembre, je me trouvai classé en thème grec (muses immortelles, ô chastes sœurs, ô Mnémosyne, dérobez à la mémoire ce souvenir humiliant), je me trouvai classé immédiatement au-dessus de Morlot, Laboriette et Chazal, intercalé entre Morlot, que je surmontais par la force des choses, et Mouron, que je ne pouvais souffrir et qui me surmontait par une fatalité dont j’étais étonné. Je méprisais profondément Mouron, Jacques Mouron, le petit Mouron, que nous appelions Mouron pour-les-petits-oiseaux, car nous avions de l’esprit. Je le croyais bête, et la suite de ce récit fera savoir si j’avais raison. Je le jugeais plus borné encore que Morlot, Laboriette et Chazal. Chazal était rustique et étonnait quelquefois par la naïveté joyeuse de ses reparties ; Laboriette, louche, hagard, hurlant, avait l’air d’un fou ; Morlot, qui dormait sans cesse, avait de longs cils soyeux et ressemblait à un prince enchanté des contes arabes. Ils avaient chacun quelque chose qui intéressait. Mouron me semblait sans aucun intérêt, et je crois que mes camarades n’en jugeaient pas autrement que moi. Petit, mince, malingre, toujours souffrant, il