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Et, abordant le jeune soldat, timide comme une demoiselle, il l’entraîna rougissant chez un marchand de tabac du carrefour où il lui offrit de l’eau-de-vie et des cigarettes. Et nous levâmes notre verre à sa santé. Desrais ne grisa pas le pompier, mais me causa un violent mal de tête. Le lendemain il me fit fumer une cigarette de maryland qui me souleva le cœur. Enfin, chaque jour me faisait découvrir de nouvelles raisons d’admirer mon ami.

Desrais, d’une famille d’officiers, se destinait à l’armée. Je me trouvai alors un goût du métier militaire, que je ne m’étais pas connu jusque-là. Je me voyais déjà lieutenant, capitaine, héroïque et doux et mélancolique comme un officier d’Alfred De Vigny. En attendant, je cherchais vainement à donner à Desrais des marques illustres de mon attachement.

Un jour, je lus dans je ne sais quel traité de la poésie grecque, l’épigramme funéraire d’Amyntor, fils de Philippe, qui mourut jeune dans un combat, en couvrant un ami de son bouclier. Je tressaillis et me sentis transporté du désir de mourir pour Desrais.

Cette amitié héroïque se brisa en un moment. Un jour d’automne, à la récréation de midi,