Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les circonstances favorisaient cette recherche. La Tourtour, atteinte d’une fluxion, gardait la chambre, et Justine, ma Justine, ramenait seule au foyer domestique Fontanet et moi. Et Justine, dont les joues écarlates semblaient toujours sur le point d’éclater, Justine, qui avait assez à faire de lutter contre les catastrophes qui fondaient incessamment sur elle, nous apparaissait comme incapable de surveillance et dénuée de toute autorité. Et ce n’était pas trop de tous nos moyens pour découvrir dans la foule des citadins un de ces pauvres honteux dont l’unique caractère est de souffrir en silence. Nous crûmes bien, pourtant, avoir mis la main sur l’un d’eux. Vêtu d’une cotte sordide, il se traînait en boitant.

Nous étions tout yeux pour le contempler.

— C’en est un, murmurai-je à l’oreille de Fontanet.

— Pour sûr, répondit-il.

Mais, au coin de la rue Vavin, l’homme entra dans un cabaret qui avait une grille peinte et des pampres en fer forgé. Nous le vîmes saisir et boire un verre de vin sur le comptoir de zinc qui étincelait à la lumière.

— Je crois, dis-je, que c’est un ivrogne.