Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/21

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avait de flatteur. Fontanet, qui observait la scène avec curiosité, en poussa un gloussement de joie. Justine intervint. Elle appela la jeune paysanne femelle ou même fumelle et la menaça de la battre. Puis s’adressant à moi :

— Cela vous apprendra, monsieur Pierre, à tracasser les filles. Vous êtes bien mal gesté, vous êtes un mauvais garnement.

— Ce ne serait pas arrivé, me dit Fontanet, si tu m’avais laissé parler à cette paysanne. Mais tu veux toujours tout faire par toi-même sans demander conseil à personne.

Ce reproche était immérité. J’en atteste tous les témoins de ma vie.

Nous convînmes que la recherche d’un pauvre honteux était difficile, ardue, chanceuse ; nous ne nous y livrâmes qu’avec plus d’ardeur. Nous entrions dans la rue des Saints-Pères, et il n’y avait plus de temps à perdre. Là nous suivîmes un homme évidemment malheureux : courbé sous le poids des soucis, son pantalon pointu au genou, son chapeau crasseux, son nez qui lui descendait jusque sur la bouche, tout nous révélait un pauvre honteux. Nous allions l’aborder quand Fontanet me tira brusquement par le bras.