Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/258

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infirme, gaie par tempérament, madame Danquin bornait aux soins domestiques son inlassable activité. Elle attirait dans sa maison, pour l’égayer, tout ce qu’elle connaissait de jeunes gens et de jeunes filles. Filleul de M. Danquin, j’étais souvent invité à dîner et à passer la soirée. M. Danquin consacrait à l’art de bien vivre toutes les heures qu’il n’accordait pas à la paléontologie. Il avait dans la tête une carte gastronomique de la France où ne manquaient ni les pâtés de Chartres, d’Amiens et de Pithiviers, ni les foies gras de Strasbourg, ni les andouillettes de Troyes, ni les chapons du Mans, ni les rillettes de Tours, ni les prés-salés du Cotentin.

Ainsi que tous les bourgeois de Paris à cette époque, il avait une bonne cave et soignait ses vins avec une sagesse vigilante. Cet honnête homme ne regardait pas comme au-dessous de lui d’acheter lui-même les melons, alléguant qu’une femme est incapable de connaître un cantaloup parvenu au moment fugitif de sa maturité savoureuse d’avec un autre encore vert ou déjà passé. Aussi les dîners de la rue Saint-André-des-Arts étaient-ils excellents. Mon père et ma mère y étaient souvent priés,m