Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’herbes ; mais la plupart dévoraient la chair des animaux appartenant à des espèces moins fortes qu’elles ou moins rapides. Malheureux habitants des forêts et des montagnes, il ne suffisait pas à leur misère que leur existence fût sujette à la faim, à la maladie, et vouée à la mort, il fallait qu’elle s’écoulât tout entière dans la peur de l’ennemi, et dans des affres que, tout brutes qu’ils étaient, ils se représentaient terribles. L’homme vint le dernier des animaux, parent de tous, et proche de quelques-uns. Les termes dont on le désigne encore aujourd’hui marquent son origine : on l’appelle humain et mortel. Quels noms conviennent mieux aux animaux sauvages qui, comme lui, habitent la terre et sont sujets à la mort. L’homme est incomparablement plus intelligent que ses frères ; mais son intelligence n’est pas d’une autre nature. Il est supérieur à tous, sans avoir en lui rien qu’ils n’aient aussi. Et ce qui l’égale à eux tous, c’est l’obligation où il est soumis comme eux de manger pour vivre ce qui a eu vie, c’est la loi du meurtre qui pèse sur lui ainsi que sur les autres, et qui en a fait un être féroce. Il est carnivore ; pour n’avoir pas honte de tuer ses