Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/315

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d’Alexandre en argent, avec la tête de Jupiter-Ammon. Je préférai la médaille comme d’un art plus grand. Me rappelant mon silence et ma gaucherie quand je fus présenté à la princesse Bagration, je pensais qu’elle refuserait de me recevoir. Mais qu’importait ? Je n’avais rien à craindre, n’ayant rien à espérer.

La maison était basse, un petit escalier conduisait, en trois étages, à l’atelier. J’entrai. Elle me reçut comme si elle m’avait toujours connu, et, sans quitter l’ébauchoir, s’excusa de tendre une main pleine de glaise. Elle était vêtue d’une blouse grise qui tombait droit. Cette blouse était une révélation précieuse et surprenante à une époque où les femmes ne s’habillaient pas dans leur forme et superposaient à leur structure naturelle un édifice de couturière. On ne peut concevoir aujourd’hui la gloire que donnait à une femme comme Marie Bagration, cette enveloppe grossière qui l’emportait dans ses voiles, loin de la vulgarité mondaine, vers la région bienheureuse des nymphes et des déesses. Sa chair n’était plus dorée, comme je l’avais vue, par la lumière des bougies et des lampes ; mais le jour de l’atelier, venu du plafond, coulait sans s’inter-