Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/33

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ne pouvais disposer de mes nippes. Ma conscience me l’interdisait absolument. Je n’écoutai point ma conscience, je me coulai dans ma chambre, j’ouvris précipitamment l’armoire (c’était, il m’en souvient, une petite armoire anglaise, très simple, en acajou, que je trouvais affreuse et qui devait être charmante ; mais nul alors ne s’avisait de la trouver belle). J’en tirai sans choix, presque au hasard, un petit paquet de hardes que je coulai sous mon pardessus, et je m’esquivai aussitôt en compagnie de Fontanet. Si l’on veut le savoir, j’emportai, autant qu’il m’en souvienne, deux ou trois chemises de nuit, un gilet de laine, ou peut-être de coton, et une demi-douzaine de bonnets de nuit, de ces bonnets de nuit, vraiment hideux, qu’on nommait casques à mèche, couvre-chefs emblématiques du bourgeois tranquille. Sans doute, j’avais fait ce choix avec précipitation, mais quand je dis que je l’avais fait au hasard, je farde la vérité. Les bonnets de coton m’étaient en horreur ; dépenser les miens en aumônes me causait une double joie, et c’est avec une intention bien nette que j’en mis le plus grand nombre possible dans mon butin.