Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/334

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esprit. N’écris pas. Si tu publies un livre trop faible pour être remarqué et te tirer de l’obscurité, ce qui est le plus probable, car le talent est très rare, rends grâce aux dieux : tu évites ton malheur, tu risques tout au plus de te rendre ridicule dans l’intimité. Ce n’est pas terrible. Mais si, par impossible, tu as assez de talent pour être remarqué, pour acquérir la célébrité (je ne parle pas de la gloire), si on te renomme, adieu tranquillité, quiétude, paix, adieu repos, le plus cher des biens. La meute des envieux ne cessera d’aboyer à tes chausses ; l’innombrable armée des sans-talents, qui remplit les salles de théâtre et les bureaux de rédaction des journaux, épieront toutes tes actions dont ils feront des crimes, ils t’abreuveront d’outrages. Ils publieront sur toi mille et mille calomnies. Et on les croira. On ne croit pas toujours la médisance, parce qu’on ne croit pas toujours la vérité ; on croit toujours la calomnie qui est plus belle. Les journalistes chargés d’informer l’opinion diront que tu as violé ta mère et assassiné ton père, ils diront que tu n’as pas de talent ; tes livres te feront des amis, sans doute, mais ils seront loin de toi, épars, muets ; ils ne feront rien, ils