Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/344

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grand me trouve bien disposé, mais je veux qu’on le traite à mon goût, qui n’est pas bien relevé : les moindres esprits peuvent le satisfaire ; les plus considérables ont chance de le blesser horriblement. Les femmes, pour la plupart, n’y correspondent pas. J’aime très rarement leur conversation, mais, quand je l’aime, je l’aime à la folie. Parlons franchement, il me fâche qu’on parle correctement dans le particulier. Il faut laisser cela aux conférenciers. Un discours, si vous voulez bien, est un tableau ; c’est une peinture composée et achevée. Une conversation est une suite de croquis. Eh ! bien, mes goûts en conversation sont les mêmes que mes goûts en dessin. Je demande à un croquis d’être libre, rapide, incisif, mordant, forcé. Je lui demande de passer la mesure, d’outrer la vérité pour la faire mieux sentir. J’en demande autant à une causerie : elle m’est délicieuse quand elle fait passer sous les yeux une suite de pochades. La conversation des femmes du monde ne le fait pas, d’ordinaire. La conversation de Jeanne Lefuel le faisait sans cesse, avec naturel et facilité. C’était à chaque fois un album de Daumier qui s’effeuillait, et cela à une époque où la conversation d’une